Raymond SOHIER nous a quittés

Nous ressentons une profonde tristesse et le sentiment que c’est une puissante lumière qui s’est éteinte dans le monde de la kinésithérapie. Depuis les années 1950-1960, elle a éclairé une vision très anticipatrice de la biomécanique humaine et des soins en rhumatologie, orthopédie et traumatologie qui en découlent.

La plupart des travaux de biomécanique avant lui s’appuyaient sur des travaux de mécanique appliqués à la motricité humaine (bras de leviers, moments des forces, etc.) et sur des expériences utilisant des pièces anatomiques. Le conditionnement mécanique des tissus post-mortem produisait des lois qu’on appliquait au vivant. On testait la compression des corps vertébraux par exemple sans assez tenir compte que, chez le vivant, à côté des forces qui font mouvoir, des forces « abstraites » « passent par là » et changent tout. Elles laissent en mémoire des trabécules osseuses inertes dans le post-mortem mais conditionnent des cellules réactives chez le vivant. A partir de là, il ne s’agit plus seulement de rétablir une fonction mais aussi un équilibre biologique. Le pendule de Newton montre ces forces qui circulent sans déclencher le mouvement, ces forces qui, en permanence, sculptent le vivant. Sa vision de la « pince ouvrante » (1952), souvent mal comprise, était révolutionnaire par rapport au segment mobile rachidien de JUNGHANS qui reste pourtant une référence et cela malgré l’apparition de la mécanobiologie.

C’est son œil et son toucher fin de kinésithérapeute, sensible au macro et micro-mouvement, les traces laissées par les forces « biogènes » ou « pathomécanogènes » sur les pièces anatomiques observées minutieusement, son retour continuel aux sciences (anatomie fonctionnelle, biologie tissulaire, etc.), sa maîtrise de l’analyse qualitative du mouvement et la lecture permanente des travaux publiés, c’est tout cela qui a alimenté son inlassable recherche. Ce sont aussi tous les étudiants auxquels il a transmis son savoir et son savoir-faire, tous les patients qu’il a soignés. Jusqu’à la fin, il est resté praticien. Son travail est colossal mais, apparemment, encore mal compris. On retient la vision de techniques, pas la rigueur de l’analyse qui conduit à la synthèse et permet de choisir et d’affiner une orientation thérapeutique ou préventive et le geste pertinent; on oublie qu’il a précocement ouvert une porte à la kinésithérapie sur une science qui, elle, n’a que 20 ans : la mécanobiologie,

Au nom de notre organisme national de prévention, nous rendons hommage à Raymond SOHIER qui nous laisse en héritage sa vision ô combien anticipatrice, ses levées de risques, son analyse qualitative d’un très haut niveau. Sans préjugés, nous devons l’accepter, l’expérimenter, le digérer patiemment pour ce qui concerne en particulier la prévention des TMS et aussi des chutes. En tout cas ne pas l’ignorer. C’est une voie qui, au lieu de nous enfermer dans « une chapelle », nous ouvre vers une recherche spécifiquement kinésithérapique à visée à la fois curative et préventive.

Michel de Saint-Rapt,

Président d’Honneur de Kiné France Prévention

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